L’utilisation de menottes dorées (golden handcuffs) (1) consiste à offrir des conditions de travail démesurément généreuses pour attirer ou retenir un employé. Les exemples sont nombreux : une rémunération ou une offre de vacances supérieure au marché ou un titre honorifique. C’est parfois un bureau de travail luxueux ou un fonds de pension et des bénéficies enivrants. Pour certains, c’est une sécurité d’emploi inébranlable ou la possibilité télétravailler en tout temps. Il y a toutefois un enjeu avec ces pratiques : le coût ne se compte pas seulement en dollar sur un bilan. Il est également (et surtout) motivationnel pour l’employé et souvent pour son équipe de travail.
Au travail, l’humain est mu par le désir de combler deux types de besoins soient intrinsèques et extrinsèques. Jacques Forest, psychologue et professeur à l’Université du Québec à Montréal, explicite le tout via la théorie de l’autodétermination. (2) Voici les grands constats.
D’abord, les besoins qui émanent de la personne (intrinsèques) tel l’affiliation à l’équipe de travail et le sentiment de compétences sont des propulseurs. Il en est de même pour l’autonomie dans la réalisation de ses tâches. Une fois comblés, ils contribuent à la satisfaction et l’engagement au travail.
À l’inverse, les besoins extrinsèques, ceux qui s’évaluent à travers le regard de l’autre et nourrissent l’égo ne sont pas des leviers motivationnels à long terme. Par conséquent, les conditions offertes en présence de menottes dorées ont un effet éphémère sur la satisfaction et la mobilisation au travail. Une fois les besoins de bases comblés (salaire approximatif de 75 000$), les bénéfices additionnels ne créent pas d’engagement pérenne au travail. De surcroît, au delà d’un salaire annuel de 105 000$, les conditions financières additionnelles ont un effet négligeable dans le temps.
En autres mots, l’utilisation de menottes dorées incite des gens à demeurer en poste pour de « mauvaises raisons ». Pour des motifs qui n’appellent pas à un sincère engagement. Ce faisant, les employés touchés sont plus sujets à être insatisfaits au travail et à requérir des interventions de leur gestionnaire.
On conçoit aisément pourquoi des avantages ultras généreux séduisent au moment du recrutement. La question : pourquoi sont-elles si efficaces en matière de rétention. Comme leur incidence est restreinte dans le temps, ne devraient-ils s’estomper au cours des années?
Les biais inconscients, soient des raccourcis neurologiques empruntés par le cerveau pour faciliter la prise de millions de décisions quotidiennes sont en cause. Ils font en sorte que l’humain tend à surévaluer une perte réelle et à sous-évaluer un gain potentiel. Une fois menottés, l’appréciation des employés de leurs conditions de travail actuelles et potentielles (assumant un changement d’emploi) sont inconsciemment brouées. Cela explique en partie que des employés insatisfaits au travail demeurent en poste en dépit d’opportunités de changements.
Il est possible de déjouer un biais cognitif, d’abord en prenant conscience de leur existence. Il faut ensuite forcer une réflexion authentique sur les vrais risques et conséquences du changement.
De plus, un autre outil permet d’objectiver sa réflexion : documenter factuellement les gains et pertes potentiels et se faire ensuite challenger par une personne bienveillante. Voici des exemples de questions forçant une réappréciation des conditions de travail. Quelle serait la vraie incidence pour toi d’avoir quatre versus six semaines de vacances. Comment pourrais-tu t’adapter? Que valent pour toi quelques milliers de dollars versus la possibilité d’apprendre une nouvelle technologie. Alternativement, cela pourrait être versus travailler avec un patron avec qui tu aurais une meilleure complicité. Quelles sont les vraies chances que la relation avec ton patron actuel s’améliorent? Cela pourrait aussi être quelles sont objectivement les chances que tu te sentes plus confortable avec un autre patron?
De nombreuses raisons expliquent que les menottes dorées perdurent dans le temps. Cela peut être parce qu’elles sont enracinées dans l’industrie ou l’historique de l’entreprise. Ce sont parfois des conditions de travail qui ont été concédées dans un contexte différent. Elles peuvent aussi avoir été offertes pour des raisons uniques et rares, la réflexion ayant été guidée par des enjeux court terme. Cela peut également s’expliquer par une évaluation erronée de la réalité à long terme. Parfois, c’est simplement pour compétitionner sur le féroce marché des talents. Il demeure que les menottes dorées ne devraient être utilisées qu’en dernier recours et de façon consciente par rapport aux coûts motivationnels qu’elles portent, tant pour l’employé que son équipe et son gestionnaire.
(1) https://en.wikipedia.org/wiki/Golden_handcuffs
(2) https://www.google.ca/books/edition/Lib%C3%A9rer_la_motivation/7wxfzwEACAAJ?hl=fr
[Auteur(e)] Annie Boilard
Annie Boilard, BAA, MBA, M. Sc., CRHA, est présidente du Réseau Annie RH. Elle œuvre en formation (développement des compétences) depuis bientôt 20 ans. En plus d’être une professionnelle en ressources humaines et une animatrice séniore, elle est une entrepreneure et une gestionnaire d’entreprise (et d’équipe) expérimentée. Au quotidien, Annie travaille à titre de formatrice et de coach auprès de leaders et de professionnels afin de développer leurs compétences comportementales et leurs habiletés à travailler ensemble. Elle est également chroniqueuse sur 4 stations de radio hebdomadairement, conférencière, blogueuse, notamment pour Les Affaires et auteure. Elle est souvent interpellée à titre d’experte sur la vie au travail, le monde du travail, le leadership et la gestion des ressources humaines. |
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